Avec Donald Trump, le spectacle est multimédiatique. Loin de se cantonner à la télévision, il se déroule également sur Internet et plus particulièrement sur le réseau social Twitter. […] Trump réussit à inféoder les grands médias au rythme de ses tweets polémiques, attirant toute l’attention médiatique sur sa seule personne. Cette stratégie s’avéra gagnante, car elle lui permit de solidifier son récit personnel, de fustiger ses détracteurs et surtout de faire circuler les idées fortes de son programme auprès d’un large public et séduire par là même les électeurs sensibles à ce type d’argumentaires démagogiques.
[…]
Trump a fait de Twitter l’outil privilégié de sa communication tant ce dernier répond à sa vision personnifiée de la présidence et à sa rhétorique populiste : Twitter donne en effet l’impression d’une démocratie directe sans séparation entre le gouvernant et les gouvernés. Trump renforce cette impression en s’adressant au peuple américain dans une langue populiste au sens où elle se refuse à tout guindage lexical et syntaxique, et privilégie un parler-vrai, direct, interprété comme authentique. Le ton qu’il emploie est toujours emporté (recours fréquent aux mots en majuscules et aux points d’exclamation), ses phrases sont simples et lapidaires, les mots sont basiques (« great », « good » et « bad » font partie des plus usités), d’un registre courant, voire familier, compréhensible par tout un chacun hormis les cas où le président publie à la hâte des messages comportant des fautes de frappe. On se souvient, en effet, de son fameux tweet en juin 2017 dans lequel il avait mal orthographié le mot « coverage » (couverture médiatique) devenu « covfefe », néologisme qui provoqua l’hilarité de la Toile et donna lieu à de nombreux détournements. L’« argotrump », pour reprendre la formule de Christian Salmon, est une langue peu sophistiquée, quoique très efficace, qui cible à l’évidence des catégories sociales peu éduquées, cœur de son électorat. Il lui arrive d’ailleurs de commettre des fautes grammaticales plus ou moins graves (confusions entre la particule infinitive « to » et l’adverbe « too », entre le pronom personnel possessif « their » et l’adverbe locatif « there », etc.) dont on peut se demander si elles sont produites à dessein pour réaffirmer une forme de proximité avec le peuple. Quoi qu’il en soit, Twitter assoit l’image de Trump comme homme (fort) du peuple qui parle sa langue et défend ses intérêts. Une précision importante : l’emploi des termes « people » ou « Americans » au fil de ses tweets constitue un abus de langage au sens où leur référent sémantique n’est pas le peuple américain dans son ensemble, mais uniquement les électeurs de Trump que ce dernier identifie comme tels, c’est-à-dire comme authentiquement américains.
Twitter offre donc un accès privilégié à la conscience et aux projets politiques du président dans la mesure où ses publications, dont il est l’auteur principal à la différence d’Obama en son temps, sont « désinter-médiées » et ne font par conséquent l’objet d’aucune reformulation, ni commentaire de la part d’un intermédiaire. Trump considère d’ailleurs Twitter comme un outil déclaratif, et non participatif, où il est le seul détenteur de la parole et où la communication est donc unilatérale, fermée. Il ne s’engage jamais dans un échange avec celles et ceux qui commentent ses publications, qu’ils soient ses soutiens ou ses opposants, bien que le réseau social, par sa nature, invite au débat. Il laisse ainsi à ses fidèles, très engagés sur la Toile, le soin de le défendre même s’il n’hésite pas à bloquer ses opposants. Cette pratique a d’ailleurs été qualifiée d’anticonstitutionnelle en juillet 2019 par une cour d’appel fédérale car jugée irrespectueuse du premier amendement garantissant la liberté d’expression. Pour défendre Trump, le ministère de la Justice avait argué qu’il s’exprimait sur Twitter en qualité de citoyen américain, non en tant que président, ce qui l’autorisait donc à bloquer n’importe quel internaute. Mais la cour fédérale rejeta cet argument, estimant au contraire que le compte Twitter personnel de Trump était bel et bien utilisé comme compte officiel de la présidence américaine et que, ce faisant, il devait être un « forum public » duquel aucun citoyen ne peut être exclu, notamment en raison de ses idées politiques.
Le statut officiel du compte Twitter personnel ne fait plus aucun doute depuis longtemps : Trump se sert de cette plateforme pour commenter la vie politique états-unienne, faire la promotion de ses mesures, critiquer l’opposition, ordonner les relations diplomatiques, etc. […]
Les tweets de Trump doivent ainsi être appréhendés comme des déclarations officielles, et ce malgré leur caractère très informel, le style outrancier dans lequel ils sont rédigés et la diversité des sujets commentés qui s’éloignent souvent du cadre politique (Trump a publié des tweets au vitriol au sujet de Meryl Streep ou de Megan Rapinoe, capitaine de l’équipe américaine de football féminin). C’est d’ailleurs ce que déclara Sean Spicer le 7 juin 2017 lorsqu’il fut justement interrogé sur le statut des tweets présidentiels : « Le président est le président des États-Unis, donc [ses tweets] sont considérés comme des déclarations officielles du président des États-Unis. » En tant que tels, les tweets de Trump appartiennent au peuple américain et doivent être sauvegardés et archivés dans leur intégralité, ce qui implique que Trump ne peut pas supprimer à sa guise ses publications – ce qu’il continue de faire malgré tout. Par ailleurs, son compte Twitter étant devenu un espace officiel, il doit être accessible à tous les citoyens américains.
[…]
Pour Trump, le recours à Twitter revêt donc un aspect militant, patriotique, voire belliqueux, puisqu’il s’agit de combattre un ensemble de médias menteurs qui sont les associés des démocrates et les pourvoyeurs de l’idéologie liberal. Selon Trump, ce que ces médias instrumentalisés disent et diffusent n’est pas la vérité, d’où la nécessité de trouver un autre média à la marge – Twitter – pour raconter « la véritable histoire » comme il l’affirme dans un tweet daté du 29 mai 2017 : « Les médias Fake News travaillent dur pour critiquer et dénigrer mon utilisation des réseaux sociaux, car ils refusent que l’Amérique entende la véritable histoire ! » Dans une posture parfaitement populiste, Trump se pose en victime d’un système médiatique uni dans une entreprise de musellement de sa parole pour expliquer les critiques émises à l’encontre de son utilisation de Twitter. Ces critiques n’émanent pourtant pas seulement des médias traditionnels puisque même certains membres du Congrès républicains jugent cette pratique indigne d’un président à l’image des sénateurs Lindsey Graham et Ben Sasse. Dans le tweet précité, Trump dénonce un complot qui le cible lui et les Américains, comprendre ici ses propres électeurs. À nouveau, l’argument de la trahison du peuple par les médias, accusés d’avoir renié leur indépendance pour servir les intérêts des partis politiques dominants, est un motif de la rhétorique populiste. Il est souvent déroulé afin d’éviter d’avoir à répondre à des questions gênantes. La logique est la suivante : puisque les médias sont corrompus, tout le travail d’information qu’ils produisent est discrédité. Trump n’est donc pas tenu de répondre aux questions ou aux « accusations » des journalistes desdits médias, car il estime qu’ils n’agissent pas en tant qu’interlocuteurs objectifs au service de la vérité et de la démocratie, mais comme des opposants politiques dont le jugement est nécessairement obscurci et orienté par leurs convictions personnelles. Parce qu’ils ne répondent pas à leur devoir d’information, les « Fake News Media » deviennent donc « les ennemis du peuple » et c’est précisément cette expression que Trump emploie le 17 février 2017 dans un tweet fondateur où il semble ouvertement déclarer la guerre aux médias traditionnels : « les médias FAKE NEWS (…) sont les ennemis du peuple américain. » Les médias n’étant plus les garants, mais les ennemis de la démocratie, il devient nécessaire de les contourner et de les combattre. Twitter répond à ces deux objectifs.
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Trump a fait de Twitter l’outil privilégié de sa communication tant ce dernier répond à sa vision personnifiée de la présidence et à sa rhétorique populiste : Twitter donne en effet l’impression d’une démocratie directe sans séparation entre le gouvernant et les gouvernés. Trump renforce cette impression en s’adressant au peuple américain dans une langue populiste au sens où elle se refuse à tout guindage lexical et syntaxique, et privilégie un parler-vrai, direct, interprété comme authentique. Le ton qu’il emploie est toujours emporté (recours fréquent aux mots en majuscules et aux points d’exclamation), ses phrases sont simples et lapidaires, les mots sont basiques (« great », « good » et « bad » font partie des plus usités), d’un registre courant, voire familier, compréhensible par tout un chacun hormis les cas où le président publie à la hâte des messages comportant des fautes de frappe. On se souvient, en effet, de son fameux tweet en juin 2017 dans lequel il avait mal orthographié le mot « coverage » (couverture médiatique) devenu « covfefe », néologisme qui provoqua l’hilarité de la Toile et donna lieu à de nombreux détournements. L’« argotrump », pour reprendre la formule de Christian Salmon, est une langue peu sophistiquée, quoique très efficace, qui cible à l’évidence des catégories sociales peu éduquées, cœur de son électorat. Il lui arrive d’ailleurs de commettre des fautes grammaticales plus ou moins graves (confusions entre la particule infinitive « to » et l’adverbe « too », entre le pronom personnel possessif « their » et l’adverbe locatif « there », etc.) dont on peut se demander si elles sont produites à dessein pour réaffirmer une forme de proximité avec le peuple. Quoi qu’il en soit, Twitter assoit l’image de Trump comme homme (fort) du peuple qui parle sa langue et défend ses intérêts. Une précision importante : l’emploi des termes « people » ou « Americans » au fil de ses tweets constitue un abus de langage au sens où leur référent sémantique n’est pas le peuple américain dans son ensemble, mais uniquement les électeurs de Trump que ce dernier identifie comme tels, c’est-à-dire comme authentiquement américains.
Twitter offre donc un accès privilégié à la conscience et aux projets politiques du président dans la mesure où ses publications, dont il est l’auteur principal à la différence d’Obama en son temps, sont « désinter-médiées » et ne font par conséquent l’objet d’aucune reformulation, ni commentaire de la part d’un intermédiaire. Trump considère d’ailleurs Twitter comme un outil déclaratif, et non participatif, où il est le seul détenteur de la parole et où la communication est donc unilatérale, fermée. Il ne s’engage jamais dans un échange avec celles et ceux qui commentent ses publications, qu’ils soient ses soutiens ou ses opposants, bien que le réseau social, par sa nature, invite au débat. Il laisse ainsi à ses fidèles, très engagés sur la Toile, le soin de le défendre même s’il n’hésite pas à bloquer ses opposants. Cette pratique a d’ailleurs été qualifiée d’anticonstitutionnelle en juillet 2019 par une cour d’appel fédérale car jugée irrespectueuse du premier amendement garantissant la liberté d’expression. Pour défendre Trump, le ministère de la Justice avait argué qu’il s’exprimait sur Twitter en qualité de citoyen américain, non en tant que président, ce qui l’autorisait donc à bloquer n’importe quel internaute. Mais la cour fédérale rejeta cet argument, estimant au contraire que le compte Twitter personnel de Trump était bel et bien utilisé comme compte officiel de la présidence américaine et que, ce faisant, il devait être un « forum public » duquel aucun citoyen ne peut être exclu, notamment en raison de ses idées politiques.
Le statut officiel du compte Twitter personnel ne fait plus aucun doute depuis longtemps : Trump se sert de cette plateforme pour commenter la vie politique états-unienne, faire la promotion de ses mesures, critiquer l’opposition, ordonner les relations diplomatiques, etc. […]
Les tweets de Trump doivent ainsi être appréhendés comme des déclarations officielles, et ce malgré leur caractère très informel, le style outrancier dans lequel ils sont rédigés et la diversité des sujets commentés qui s’éloignent souvent du cadre politique (Trump a publié des tweets au vitriol au sujet de Meryl Streep ou de Megan Rapinoe, capitaine de l’équipe américaine de football féminin). C’est d’ailleurs ce que déclara Sean Spicer le 7 juin 2017 lorsqu’il fut justement interrogé sur le statut des tweets présidentiels : « Le président est le président des États-Unis, donc [ses tweets] sont considérés comme des déclarations officielles du président des États-Unis. » En tant que tels, les tweets de Trump appartiennent au peuple américain et doivent être sauvegardés et archivés dans leur intégralité, ce qui implique que Trump ne peut pas supprimer à sa guise ses publications – ce qu’il continue de faire malgré tout. Par ailleurs, son compte Twitter étant devenu un espace officiel, il doit être accessible à tous les citoyens américains.
[…]
Pour Trump, le recours à Twitter revêt donc un aspect militant, patriotique, voire belliqueux, puisqu’il s’agit de combattre un ensemble de médias menteurs qui sont les associés des démocrates et les pourvoyeurs de l’idéologie liberal. Selon Trump, ce que ces médias instrumentalisés disent et diffusent n’est pas la vérité, d’où la nécessité de trouver un autre média à la marge – Twitter – pour raconter « la véritable histoire » comme il l’affirme dans un tweet daté du 29 mai 2017 : « Les médias Fake News travaillent dur pour critiquer et dénigrer mon utilisation des réseaux sociaux, car ils refusent que l’Amérique entende la véritable histoire ! » Dans une posture parfaitement populiste, Trump se pose en victime d’un système médiatique uni dans une entreprise de musellement de sa parole pour expliquer les critiques émises à l’encontre de son utilisation de Twitter. Ces critiques n’émanent pourtant pas seulement des médias traditionnels puisque même certains membres du Congrès républicains jugent cette pratique indigne d’un président à l’image des sénateurs Lindsey Graham et Ben Sasse. Dans le tweet précité, Trump dénonce un complot qui le cible lui et les Américains, comprendre ici ses propres électeurs. À nouveau, l’argument de la trahison du peuple par les médias, accusés d’avoir renié leur indépendance pour servir les intérêts des partis politiques dominants, est un motif de la rhétorique populiste. Il est souvent déroulé afin d’éviter d’avoir à répondre à des questions gênantes. La logique est la suivante : puisque les médias sont corrompus, tout le travail d’information qu’ils produisent est discrédité. Trump n’est donc pas tenu de répondre aux questions ou aux « accusations » des journalistes desdits médias, car il estime qu’ils n’agissent pas en tant qu’interlocuteurs objectifs au service de la vérité et de la démocratie, mais comme des opposants politiques dont le jugement est nécessairement obscurci et orienté par leurs convictions personnelles. Parce qu’ils ne répondent pas à leur devoir d’information, les « Fake News Media » deviennent donc « les ennemis du peuple » et c’est précisément cette expression que Trump emploie le 17 février 2017 dans un tweet fondateur où il semble ouvertement déclarer la guerre aux médias traditionnels : « les médias FAKE NEWS (…) sont les ennemis du peuple américain. » Les médias n’étant plus les garants, mais les ennemis de la démocratie, il devient nécessaire de les contourner et de les combattre. Twitter répond à ces deux objectifs.